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A Rémi Fraisse, notre fils mort il y a un an
mercredi 28 octobre 2015, par
Nous reproduisons ici l’article de la famille de Rémi Fraisse, publié dans le Monde le 22 octobre 2015.
A Rémi Fraisse, notre fils mort il y a un an
Nous avons appris que l’Etat en France pouvait tuer. Rémi, notre fils et notre frère, a été tué par une grenade offensive lancée par un gendarme alors qu’il était venu à Sivens pour faire la fête et pour discuter d’environnement. Il n’a pas réalisé que les affrontements entre les forces de l’ordre et les opposants étaient devenus violents et dangereux. Il s’est approché. Pourquoi ?
Après les débats et les concerts, vers 1 heure du matin, Rémi a été voir ce qui se passait près de la zone de chantier, il a suivi le mouvement qui partait de la métairie. Il était avec Anna, son amie. Près de la zone de chantier, il y avait des jeunes comme lui, des moins jeunes, des militants, des pacifistes, des personnes cagoulées.
Le bruit des grenades assourdissantes, des grenades offensives, les gaz lacrymogènes, tout était sûrement très impressionnant. Des personnes se faisaient tirer dessus, il y avait beaucoup de blessés. Il a dû se dire, avec certains, il faut y aller, il faut leur dire d’arrêter, il faut aller aider les collègues.
Traîné comme un chien
Il s’est approché. C’était le mauvais moment. Plusieurs tirs de grenades à ce moment-là. Rémi tombe au sol. Il est 1 heure 45 du matin. Les gendarmes voient un corps, ils viennent le chercher, ils comprennent que Rémi est mort, ils le traînent comme un chien sur plusieurs dizaines de mètres, sa tête rebondit sur le sol. Les médias parlent d’un corps retrouvé dans la forêt !
Un capitaine de gendarmerie nous appelle au téléphone. Personne ne nous dit rien. On nous pose des questions, on nous demande si nous savons où Rémi se trouve, si nous avons des photos de lui. Nous apprenons son décès. Pendant trois jours, le silence, les doutes, les craintes, le mensonge. Rien sur les causes de sa mort, sur les raisons, les circonstances. Y a-t-il une enquête, un juge est-il saisi ? Pourquoi ?
L’instruction est finalement ouverte, deux juges sont désignées. L’autopsie révèle qu’il est mort à la suite de l’explosion d’une grenade offensive au niveau de son dos. Cette grenade aurait été lancée par un gendarme mobile non pas depuis la zone de chantier, où les forces de l’ordre étaient positionnées en défense, mais en dehors de cette zone, en mouvement sur le côté sud-est, près de lui.
La zone de chantier est située sur un terrain privé déjà entièrement saccagé par les bulldozers du propriétaire, le conseil départemental du Tarn lui-même, sur lequel il n’y a absolument rien à défendre et que l’on a entouré de douves comme au Moyen Age.
Les gendarmes mobiles ont utilisé contre nos enfants de France des armes qui tuent, grenades de guerre inventées pendant la guerre de 1914-1918. Elles avaient pourtant déjà tué le militant écologiste Vital Michalon quarante ans plus tôt. Pourquoi ?
Nous voulons savoir ce qui s’est passé. Nous voulons savoir comment Rémi est mort, pourquoi il est mort. Toutes les victimes de ce soir-là doivent être entendues. Toutes les personnes présentes à côté de lui et qui peuvent nous expliquer comment cela s’est passé, où il était, ce qu’il a dit. Nous leur demandons, en son nom, pour lui, pour que de tels actes ne se reproduisent jamais sur notre sol, de venir courageusement témoigner pour nous aider à faire toute la lumière sur cet événement dramatique pour la nation tout entière. Nous voulons comprendre.
Nous voulons comprendre comment un gendarme peut envoyer une grenade mortelle dans de telles circonstances, comment des commandants de gendarmerie ont pu donner l’ordre d’user de ces armes, alors que leur métier est de circonscrire la violence. Nous voulons savoir qui est responsable. Un non-lieu serait terrible."
Jean-Pierre Fraisse, Véronique Voiturier et Chloé Fraisse sont les parents et la sœur de Rémi Fraisse