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Hommage à Gerard BERNABEU LOPEZ
et retour sur l’exil de sa famille en Algérie
mardi 2 août 2022, par
Le 16 mai dernier, notre ami compañero de la CNT, Gérard Bernabeu est parti sur la pointe des pieds. Gérard, fidèle à la CNT de son père, présent à toutes les AG, toutes les permanences, toutes les manifs, tous les rassemblements dans le froid devant la préfecture, insensible aux intempéries sous son drapeau rouge et noir. Gérard qui est resté dans la barque au milieu des tempêtes, imperturbable.
C’était aussi le maître d’œuvre de la fête annuelle de la CNT, qui organisait les réunions, faisait les courses, tenait les comptes avec Monique.
C’était aussi lui qui le plus souvent passait « le balai confédéral » pour notre bien-être à tous.
En plus de son engagement à la CNT, Gérard était membre actif de FFREEE, (Fils et Filles de Républicains Espagnols et Enfants de l’Exode). Son épouse Monique et lui étaient aussi membres du Centre culturel catalan, de Coup de soleil, des Amis de Cinémaginaire (qui organisent entre autres « Maghreb si loin, si proche »), d’associations ayant une version de l’Histoire à défendre en ce qui concerne l’Espagne et l’Algérie, plus précisément l’histoire des exilés espagnols en Algérie suite à la guerre civile. Preuve en est la participation de Gérard au congrès d’Oran et d’Alger « Memoria del exilio espanol en Argelia » du 20 au 23 octobre 2019, en tant que témoin, porteur de la mémoire de son père, d’une révolution et de la punition massive de ceux qui avaient œuvré pour elle.
Avec Gérard, ce sont des pages d’histoire qui s’envolent, l’histoire de son père, celle de ces « Rouges » (terme englobant tous les opposants à Franco), fuyant Franco lié à l’Europe fasciste. Ces Espagnols qui croyaient encore à la lutte, à une société égalitaire, ces indésirables qu’on a mis dans des camps de concentration, certains à ciel ouvert en plein désert du Sahara. C’est ensuite son histoire propre, son « intégration » dans l’Algérie des pauvres,des exilés, proche de celle décrite par Camus dans Le premier homme, puis l’obtention de la nationalité française, et le second départ, cette fois-ci vers la France en 1964.
En effet, à la fin de la guerre civile, 12 000 Espagnols fuient vers l’Algérie, terre « d’accueil » traditionnelle des exilés économiques et politiques espagnols, depuis l’époque d’Al-Andalus.
Le père de Gérard, Gerardo Bernabeu Vilaplana, cénétiste et franc-maçon qui avait avec ses compagnons de travail collectivisé leur atelier dans la IMSA (Industrias Metalurgicas Socializadas de Alicante) et son frère Liberto, secrétaire régional de la CNT depuis le 7 septembre 1936, en font partie, embarqués à Alicante sur le Rowning, dernier bateau de l’exode vers l’Algérie. Nous sommes le 12 mars 1939. Gérard, benjamin venu au monde après 5 sœurs, est né le 27 janvier 1937, après 6 mois de guerre, ; son père l’a vu à peine 3 fois lorsqu’il part.
Quand le bateau accoste en Algérie, la mairie d’Oran a déjà fêté la victoire de Franco. Certains bateaux tels le Stanbrook resteront à quai 1 mois avec interdiction de désembarquer. Celui de Gerardo et Liberto débarquent ses passagers à Tenès. Les réfugiés ayant un passeport , tels Gerardo et Liberto, se le voient confisquer ; les femmes, les enfants, les invalides, sont enfermés au centre Carnot, les hommes dans un autre centre. Le père de Gérard et son oncle sont transférés à la caserne de Berthezene, près d’Orléansville. Le 8 octobre 1939, ils seront envoyés au camp de Morand à Boghari. Au camp, malgré la dure vie concentrationnaire ils tentent de rester solidaires, fidèles à leurs idéaux. Finalement, en février 1940, ils ont la possibilité de sortir de camp pour travailler et arrivent à Alger. Les deux frères ont des sensibilités un peu différentes. Liberto œuvre à la restructuration de leur organisation syndicale sur place. Le 5 septembre 1946, il prend la charge de secrétaire de la CNT Afrique. Le père de Gérard quant à lui, vivra dans un petit hôtel, avec sa valise, avec l’idée fixe de repartir pour une Espagne sans Franco, et pourtant il ne la reverra pas.
Ce n’est qu’en 1948 que la sœur aînée de Gérard, Aurea (mère d’Eliane Ortega Bernabeu) et lui-même obtiendront un passeport. Seuls membres de la famille à le détenir, ils feront tous les deux un voyage éprouvant en bus, en passant par le Maroc et Gérard pourra enfin voir son père pour la première fois, à l’âge de 11 ans. Gérard aura coutume de parler du manque de son père pendant 11 ans, comme de « l’œuvre du franquisme », ironie amère . Ce n’est qu’en 1949 que toute la famille sera enfin réunie.
Arrivé à Oran, Gérard apprend le français et rattrape le niveau de ses camarades du même age en 2 ans. En 1949, quand toute la famille sera enfin réunie, Gérard en sera au Certificat d’études. Comme pour tous ces Espagnols libertaires, l’instruction, la lecture, le débat représentent la première partie de l’émancipation.
Gérard qui avait décidé de demander la nationalité française pour se donner de meilleures possibilités de travail, l’obtient quelques jours après l’anniversaire de ses 20 ans, le 27 janvier 1957. Il s’ensuit qu’il fera 27 mois d’armée, 4 mois de classes au Maroc et 23 mois de guerre.
En 1959, Gérard rencontre à Oran Monique Devesa, d’une famille vivant en Algérie depuis 3 générations, peones, paysans sans terre andalous du côté maternel, marins pêcheurs d’Alicante du côté de son père. Le père de Monique qui a été formé et a appris à lire au syndicat s’est toujours senti proche des exilés espagnols, cherchant par exemple à leur venir en aide lors de leur long séjour à quai en 1939. Gérard et Monique se marient, auront un premier enfant, Sabine, à Alger et décideront de partir vivre en France en 1964, d’abord à Paris où naîtra Elisa, puis en 1965 à Perpignan où naîtra leur troisième enfant, Gil. Tous deux y resteront ensemble jusqu’au décès de Gérard et se feront le devoir de témoigner d’une histoire trop méconnue, dont nous n’avons toujours écho que par les vainqueurs.
Documents de référence :
– Actes du congrès d’Oran et d’Alger Memoria del exilio espanol en Argelia du 20 au 23 octobre 2019 (notamment la conférence d’Eliane ORTEGA BERNABEU et le témoignage de Gérard BERNABEU)
– Casbah d’oubli, l’exil des réfugiés politiques espagnols en Algérie (1939-1961), édition l’Harmattan, Miguel MARTINEZ LOPEZ
– Accords Berard-Jordans, Burgos février 1939